Paul Froment (1875- 1898) : sa vie


Archives départementales du Lot
Archives départementales du Lot

 1875 - commune de FLORESSAS (Lot)

 

"En l'an mil huit cent soixante et quinze et le dix-sept janvier, à 3 heures du soir, par devant nous, Etienne Brugalières, maire et officier de l'Etat Civil de la commune de Floressas, canton de Puy-l'Evêque (Lot), ont comparu le sieur Froment Jean, cultivateur, âgé de trente ans, domicilié au lieu de Lamuraque, commune de Floressas, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin né ce matin à une heure, de lui comparant et de Marie Fabre, son épouse, sans profession, âgée de vingt-quatre ans, domiciliée avec lui au dit lieu de Lamuraque, et auquel enfant il a déclaré vouloir donner le prénom de Paul"...

  

Ainsi est officiellement présenté le petit Paul FROMENT, sur le registre de l'Etat Civil. Il est le premier enfant du couple. 

 

 

5 ans après, le 15 juillet 1880, naissait son frère, Henri, que la guerre de 14-18 emporta à son toour : ce dernier fut blessé lors de la bataille de l'Ailette et mourut suite à ses blessures le 5 septembre 1918 (voir : les "poilus" de Floressas)

 

Lamuraque est un lieu-dit de deux ou trois bâtisses proches du Château de Chambert. La maison des Froment n'a qu'une seul pièce principale, comme bon nombre d'habitats modestes de l'époque. Elle est devenue par la suite une "grange", puis une ruine.

 

 

Elle a été rasée par les derniers propriétaires en date...

Maison natale de Paul FROMENT à Lamuraque (à environ 2 km du bourg)
Maison natale de Paul FROMENT à Lamuraque (à environ 2 km du bourg)

Comme bien d'autres familles, les Froment sont dans la gêne et les enfants seront contraints de se louer chez des propriétaires plus aisés. 

Paul Froment à l'âge de 14 ans - photo de famille
Paul Froment à l'âge de 14 ans - photo de famille

La famille Froment a résisté le plus longtemps possible à cette extrémité.

Paul pourra fréquenter l'école de Floressas jusqu'en 1886 où il se révèle un écolier assidu, sensible et doué. Son instituteur Monsieur Doumerc, l'emmène jusqu’au Certificat d'études : il sera premier du Canton !

 

Mais ensuite, Paul devra se louer à la journée.

Le soir, il dévore à la lueur du calel (lampe à huile de noix traditionnelle du Quercy) tout ce qui se présente, en français et en langue d'oc.

 

A quinze ans il doit se louer à l'année. Il "descend" donc de son plateau natal vers l'agenais voisin, plus riche, pour devenir "valet de ferme".

 

En 1892 il est employé à Massels, près de Penne d'Agenais. C'est là qu'il commence à "rimer", dans sa tête, tout en labourant, puis le soir venu, à la fin de la journée de travail, il couche son poème sur une feuille de papier...

 

Petit poète, simple valet de ferme ou "Rimbaud Occitan" ?

A la même date, Victor Delbergé lance à Villeneuve, un petit journal "patoisant" qu'il nomme "lou Calel".

Il ouvre ses pages à toutes les bonnes volontés.

 

Paul Froment y fait ses débuts, dès le n°2, le 15 mai 1892, avec le poème "lo Ressegaire"

 

En 1893 il rencontrera, alors qu'il se trouve à Belugue (sur la commune voisine de Sérignac), le hobereau occitaniste et écrivain Francis Marratuech (dont l'oeuvre principale est Les Kadourques qui raconte la prise d'Uxellodunum).

Ce dernier eut une heureuse influence sur le jeune Paul Froment et l'encouragea à persévérer.

"Paul Froment, notre Rimbaud occitan", par Marceau Esquieu

 (extrait)

 

"Un quadrillage de pierres sèches, sur un plateau calcaire aux chênes rabougris, aux vignes torses sur le cailloutis, des champs étroits, des fermes aux murs lépreux, aux toitures bosselées, jetées comme à poignées en hameaux dérisoires, la lourde masse d’un château rectangulaire aux deux tours massives et trapues ; un village ? On hésite presque.

 

C’est Floressas, dans le département du Lot. Paul Froment, y naît, le 17 janvier 1875, d’une famille de petits agriculteurs ruinés par le phylloxera.

 

Son instituteur, Monsieur Doumerc, tout bon « hussard de la République » qu’il fût, comme ailleurs, Antonin Perbosc et Prosper Estieu, cultivait encore, jouxtant le jardin du curé tout encombré de patenôtres en latin, et embaumé de fleurs mellifères et médicinales, son jardin secret personnel de maître d’école, où fleurissait, indifférente et superbe, la fleur inverse d’une langue prohibée, seule propre à susciter à jamais des disciples et des poètes...

 

Avec le petit Paul, c’est un écolier sensible et surdoué qu’il prenait en charge. À treize ans, le voici premier du canton au Certificat d’Études...

 

Mais ses parents, par nécessité, le loueront, dès ses 15 ans. Il deviendra valet de ferme : en Lot-et-Garonne proche, à Massels, Penne, puis à Pujols, au Laurier ; à quelques lieux de Floressas certes, assez loin toutefois, pour souffrir à vif du mal du pays, et surtout des affres de son amour malheureux pour Maria Maillet, « mon prumièr, sol amor ». Sa jolie camarade d’enfance ne répondra jamais à son amour...

[…]

 

Extrait de l'ouvrage : Balade en Midi-Pyrénées, sur les pas des écrivains (c) Alexandrines, mars 2011.

Paul Froment adulte - photo de famille
Paul Froment adulte - photo de famille

Au début de 1895, Paul Froment, alors domestique à la ferme des Lauriers, près de Villeneuve-sur-Lot, envoie le manuscrit de : "Sasous e Mesados" à "l'Escolo Moundino" de Toulouse qui lui décerne le deuxième prix du sonnet. 

 

La même année il prend part à la Félibrée de Toulouse où le talent de ce paysan de 20 ans sera remarqué.

Avec son propre argent péniblement gagné, l'aide financière de "l'Escolo Moundino" et celle de quelques amis il fera imprimer son premier recueil de poèmes : "A trabès Regos" chez l'éditeur Victor Delbergé.

 

Dans la revue l'Aïoli du 17 janvier 1896 Frédéric Mistral souhaite une affectueuse bienvenue à Paul Froment en ces termes :

"A trabès Regos es la cansoun, veritablament viscudo, d'un enfant de la terro que la Muso a floureja. Quant à la lengo, es à pau près aquelo que Jaussemin enauré dins la glori, e Froument, éu, la pouso touto freco à la font. " 

(A travers les Sillons est la chanson, véritablement vécue, d'un enfant de la terre que la muse a fait fleurir. Quant à la langue, c'est à peu près celle que Jasmin avait en pleine gloire, et que Froment, lui, a puisé toute fraîche à la fontaine)

 

En 1896 il compose les poèmes de "Flous de Primo" qui paraîtra l'année suivante. L'Académie des Jeux Floraux récompensa cet écrit d'un "œillet d'argent" d'une valeur de 100 Francs, que Paul Froment troqua contre un beau billet ! Ce recueil de poèmes sortira en novembre 1897 (Imprimerie Chabrié - Villeneuve-sur-Lot)

P. Froment soldat / photo de famille
P. Froment soldat / photo de famille

 

Toujours en 1896, il est ajourné au Conseil de révision pour "faiblesse de constitution".

 

Il est alors passionnément amoureux de Maria Maillet… qui ne lui rend pas cet amour ce qui désespère le jeune homme.

 

 

Le 16 novembre 1897 il est incorporé au 121ème de ligne, à Lyon.

Frédéric Mistral le recommande à un de ses amis, M. Eugène Vials.

Mais malgré ce soutien, Paul Froment garde la nostalgie de son Floressas natal et ne se console pas de son chagrin d'amour.

 

Le froid et le brouillard de Lyon vont ajouter à cette tristesse des problèmes de santé. Il souffre d'une toux tenace qui ne lui reste que peu de répit. Sa timidité le livre aux brimades et sarcasmes des "bidasses".

 

"…Avez-vous été soldat ? Si oui, vous savez la chienne de vie qu'on mène, si non, vous ne pouvez pas vous en faire une idée.

écrit-il à ses amis Salères ou Doumerc.

 

Le 7 juin 1898, après une permission à Floressas, Paul écrit à ses parents une lettre optimiste et détendue, débordante de petits détails de la vie quotidienne.

Le 9 juin, il est puni de deux jours de salle de police.

Le 10 juin, après avoir séjourné jusqu'à vingt-trois heures dans un café, il disparaît.

Le 13 juin, son ceinturon est retrouvé sous le pont Morand à Lyon et sa baïonnette sur les hauteurs de Fourvière.

Le 16 juin, son corps est retrouvé aux Roches de Condrieux, non loin de Vienne.

 

La thèse de l'assassinat sera retenue.

Pourtant, l'enquête militaire ordonnée par le général Zédé, avait conclu au suicide.

Le frère de Paul et Francis Maratuech, de retour de Lyon où il allèrent reconnaître le corps, en ont eux aussi acquis l'intime conviction.

Ainsi, si l'on célébra, à Floressas, un service solennel à sa mémoire, sa tombe a toutefois été creusée à l'extérieur du cimetière....

 

Ce fut celle d'un réprouvé et d'un suicidé, condamné par les hommes à l'éternelle solitude.

La tombe originelle de Paul Froment, contre le mur du cimetière
La tombe originelle de Paul Froment, contre le mur du cimetière

Les photos de Paul Froment sont issues des livres : 

A travèrs regas 1986 et Flors de prima 1988

Sources : Écrits en prose : Paul Froment 

 

  Année 1934  Volume 22  Numéro 87  pp. 374-375

Toutefois le mystère de sa mort reste entier

 

la Librairie "Au Troisième Oeil" (fondée en 1973 et spécialisée dans le roman policier et la criminologie) lui avait consacré un article intitulé : 

"l'affaire du Rimbaud Occitan : un poète assassiné ? 

"Le corps sans vie du « Rimbaud occitan » fut repêché dans les eaux du Rhône. Un meurtre selon Mistral. Un suicide pour d'autres. Le mystère demeure !"

 

 

 

Le 4 Août 2010, le journal SUD OUEST titre "Affaire Paul Froment : un poète assassiné ?"

 

Le corps sans vie du « Rimbaud occitan » fut repêché dans les eaux du Rhône. Un meurtre selon Mistral. Un suicide pour d'autres. Le mystère demeure.

Le siècle touche à sa fin et les feux de la Saint-Jean ont depuis quelques jours laissé place à des cendres froides. Mais en cet été 1898, rage et désespoir brûlent le cœur des félibres. Une rumeur enfle : Paul Froment, le « Rimbaud occitan », aurait été tué par des anarchistes. « Un félibre assassiné », titre l'édition de « L'Aioli » du 27 juin, journal provençal fondé par Frédéric Mistral, admirateur de Froment. Quelques jours plus tard, « Le Progrès du Lot-et-Garonne » emboîte le pas au prix Nobel de littérature et parle de « la presque certitude d'un crime ».

Le 16 juin 1898, une légende naît quand le corps grêle sans vie de Paul Froment, poète valet de ferme de Pujols et de Penne, est repêché dans les eaux noires du Rhône, aux Roches de Condrieux, en aval de Lyon. Il avait 23 ans. Et si Rimbaud a arrêté d'écrire aussi jeune pour aller faire de la contrebande d'armes dans la corne de l'Afrique, c'est bien la mort qui fauche l'élan de l'auteur des « Flors de prima ». Mais quelle est la cause de cette mort ? Le mystère n'a jamais été officiellement élucidé.

« Un corps lardé de coups »

Mistral croit savoir que « son corps fut trouvé lardé de coups de poignards ». La fin du XIXe siècle est marquée par la fièvre anarchiste qui perpètre de nombreux attentats un peu partout en Europe et les soldats sont des cibles potentielles. A Lyon, Paul Froment effectue son service militaire au 121e de ligne. Le 10 juin, après avoir purgé deux jours de salle de police et avoir séjourné près de vingt-trois heures dans un seul et même café, il disparaît. Trois jours plus tard, son ceinturon est retrouvé sous le pont Morand à Lyon et sa baïonnette sur les hauteurs de Fourvières. Que s'est-il passé ? Très vite, la thèse du suicide est néanmoins avancée, avant qu'elle ne s'efface devant les articles fiévreux de Frédéric Mistral.

Le poème prémonitoire

Dans sa « Connaissance de Paul Froment », Monique Caraire penche pour la première hypothèse : « On retiendra, pour la thèse de l'assassinat, des traces suspectes relevées sur le corps, écrit-elle.

Mais celui-ci a souffert d'un séjour de six jours dans un fleuve en crue ; un parcours de 40 kilomètres depuis le point de son immersion et il est évident que les conclusions du médecin légiste restent vagues. »

Et puis Paul Froment est un éternel mélancolique dont les vers trahissent un profond mal-être. N'a-t-il pas écrit « Sonnet d'un poète avant d'aller se noyer » ?

Marceau Esquieu, poète occitan, (décédé le 2 janvier 2015 à l'âge de 83 ans) passionné par la vie de l'enfant de Floressas qui fut publié à

 

Villeneuve, possède sans doute la clé du mystère. « Je suis sûr qu'il s'est suicidé pour une femme. Et cette femme je l'ai rencontrée », assure-t-il aujourd'hui. Cette femme s'appelait Maria Maillet.

« Elle était probablement l'unique blonde du pays et habitait près du village natal de Froment, à Belugues. Le poète mourait d'amour, mais elle l'a éconduit », relate Marceau Esquieu, qui fit la rencontre de la belle

dans les années 50.

Elle habitait dans la banlieue toulousaine. Quand je lui ai dit que je venais pour Paul Froment, cette petite vieille a brusquement pâli avant de s'asseoir. Je crois bien qu'elle m'a dit :

''Ah pauvre ! Ah ! Mon Dieu !'' comme un cri profond d'une déchirure ancienne qu'on ferait saigner tout à coup. Puis elle remonta dans le temps pour me parler de son enfance à elle et à Froment, mais surtout de lui. La petite vieille m'évoqua sa maladresse, sa timidité.

C'était un enfant différent, disait-elle, fin et intelligent, qui lisait des livres mais qu'on n'aurait pas souhaité comme amoureux… Elle me parla de la mort de Froment. De cette permission qui se passa mal alors qu'il dépérissait dans cette triste caserne où sa liberté était " au fond du trou ", comme il a écrit ».

De cette foire de Puy-L'Evêque où elle promit à Froment de se laisser raccompagner, mais d'où elle

revint avec un autre…

Le pauvre Paul retourna dans sa caserne malade du corps (il était probablement tuberculeux) et de l'âme. Il disparut peu de temps après.

Enfin Maria Maillet conta à Marceau Esquieu le secret de la mort du poète, du moins ce qu'on lui en a dit : « François Maratuech, le voisin félibre de Froment et son frère allèrent à Lyon pour reconnaître le corps. A leur retour, ils rendirent visite à Maria pour lui annoncer que Paul Froment s'était suicidé à cause d'elle, mais que jamais elle ne devrait le dire et que pour la réputation de Froment, pour l'honneur de sa famille, ce seraient des anarchistes qui auraient fait le coup… ».

Paul Froment eut ainsi droit à des obsèques de première classe. Mais curieusement, sa tombe fut creusée à

l'extérieur du cimetière de Floressas…"

 

Voir http://www.sudouest.fr/2010/08/04/affaire-paul-froment-un-poete-assassine-152962-3900.php

Marceau ESQUIEU dans sa maison familiale de Hautefage-la-Tour, âgé de 80 ans -  © PHOTO DOSSAT ANDRÉ
Marceau ESQUIEU dans sa maison familiale de Hautefage-la-Tour, âgé de 80 ans - © PHOTO DOSSAT ANDRÉ

Marceau Esquieu était à Nadalie (Lot-et-Garonne) en 1931. Passionné par la langue occitane il fut professeur de lettres classiques et d'occitan. Il publia une quarantaine de recueils de poèmes, contes, chansons, pièces de théâtre, traductions en occitan d’œuvres diverses. Il remit en lumière les auteurs du département tels que Jacques Boé dit Jasmin, Arnaud Daubasse (1660-1720) et surtout Paul Froment (1875-1898),

À titre personnel, il fut cofondateur du prix pan-occitan Paul-Froment, en 1972.  (sources : Sud-Ouest 05/01/2015 A.B.)

Floressas 2016 - tombe actuelle de Paul Froment - crédit photo AM Uyttenbroeck
Floressas 2016 - tombe actuelle de Paul Froment - crédit photo AM Uyttenbroeck

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Commentaires: 4
  • #1

    eva (samedi, 20 août 2016 22:53)

    Un beau site très complet que j'ai eu plaisir à parcourir en partie (encore beaucoup de surprises à explorer). Aujourd'hui je me suis arrêtée à la lecture de la fin tragique du poète... La légende est partagée entre l'assassinat politique et le suicide par mal d'amour. Bien entendu le suicide est plus romantique et les circonstances poignantes sont encore aggravées par les confidences de Maria Maillet à Marceu Esquiu... Le coeur se serre à la pensée de cet enfant dont la tombe fut creusée à l'extérieur du cimetière de Floressas... exilé jusque dans la mort... Merci à l'auteur de ce très beau blog !

  • #2

    noil (lundi, 16 octobre 2023 16:48)

    sama bien servi sah

  • #3

    j'adore (lundi, 16 octobre 2023 16:49)

    j'adore

  • #4

    noil (lundi, 16 octobre 2023 16:49)

    elliot aleve ta casquette